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lundi 29 février 2016

TOM McCARTHY (SPOTLIGHT) L'HOMME QUI A FAILLI TUE GAME OF THRONES

Tom McCarthy n'est pas du genre patient. L’actrice Amy Ryan, qui tient l’un des rôles principaux dans Les Winners, son troisième film, a expliqué au New York Magazine:
«Moi, quand j’ai deux mois d’arrêt, je panique. Tom, c’est plutôt "Mon dieu: deux mois? Je ferais mieux d’écrire un film!"».
Il n'en a pourtant pas écrit tant que ça. Inconnu du grand public jusqu'à Spotlight, son formidable récit de la découverte d'un scandale pédophile au sein de l'Eglise par l'équipe de journalistes du Boston Globe, McCarthy en avait déjà écrit cinq auparavant; il en avait réalisé quatre. Des succès d'estime (comme The Visitor), mais rien de plus. Sa carrière restait dans une ombre relative. Les Oscars (Spotlight est nommé dans les catégories meilleur film, meilleur scénario original, meilleur réalisateur, meilleurs seconds rôles masculins et féminins, meilleur montage) pourraient l'en sortir.  
On découvrira alors un squelette dans le placard. Un énorme ratage de la télé américaine dont il est en partie responsable: le premier pilote de Game of Thrones.
Au début du mois de février dernier, le podcast américain Scriptnotes rappelait, en des termes très fleuris, que McCarthy avait réalisé ce premier pilote. «C’est le plus grand sauvetage de l’histoire d’Hollywood (…) Vous avez transformé un tas de merde en quelque chose de brillant» s'émerveillait le co-animateur de Scriptnotes en s'adressant à DB Weiss et David Benioff, les showrunners de Game of Thrones.
Ce n'était pas entièrement la faute de McCarthy. Dans un entretien de mars 2014 accordé à Vanity Fair, David Benioff expliquait d'ailleurs: «Nous avions fait des erreurs fondamentales dans le scénario»
Mais le pilote était vraiment très raté. David Benioff: 
«[Après le tournage], nous avions invité des amis scénaristes pour regarder l'épisode et nous faire des retours. Et je me souviens de les avoir regardés pendant qu'ils regardaient le pilote, et je me sentais terriblement mal, parce qu'à ce stade, ça faisait déjà plusieurs années qu'on travaillait dessus. Et à les voir regarder le pilote, je savais qu'ils ne l'aimaient pas du tout, et c'était vraiment terrible».
McCarthy n’a pas survécu au naufrage. Le premier épisode diffusé par HBO a été tourné sans lui.
A l’origine pourtant, le choix de Tom McCarthy à la réalisation est plutôt malin. Acteur, il est apparu dans plusieurs films (Good Night and Good LuckSyrianaMémoires de nos pères) et quelques séries (Ally McBealBoston PublicNew York Police Judiciaire), et il possède une bonne réputation de directeurs de comédiens. Petit bonus, HBO le connaît. Il a tenu un rôle mémorable dans la saison 5 de The Wire. Celui de Scott Templeton: un journaliste du Baltimore Sun qui n’hésite pas à bidonner ses reportages pour décrocher le Pullitzer, très loin de l'équipe du Boston Globe de Spotlight.
A l’époque, en 2009, il est aussi un auteur-réalisateur qui a le vent en poupe: avec Le chef de gare (2003), tourné avec son ami Peter Dincklage (Tyrion Lannister dans… Game of Thrones), et avec The Visitor (2008),  McCarthy s’est fait un nom dans l’univers du cinéma indépendant américain. Et cosigne le script du film d’animation Là-Haut (2009).
Au moment où débute la production du pilote, McCarthy est libre et il connaît bien les showrunners choisis pour adapter la saga de George RR Martin. Il a, a priori, tout ce qu’il faut.
Sauf que, comme le dit DB Weiss à Vanity Fair, l’aventure s’apparente alors à l’ascension de l'Everest version 1885«Comme nous l'avions pitché à HBO, "Personne n'a rien fait de tel jusqu'alors". C'était excitant mais d'un autre côté, justement, personne n'avait rien fait de tel jusqu'alors. Il nous fallait donc imaginer tout un processus de fabrication…»
C’est peut-être là le problème. Le nez dans leur adaptation, Weiss et Benioff se noient dans la masse d’informations qu’ils veulent faire passer au téléspectateur.
Benioff explique, en évoquant la fois où ils avaient montré le pilote à leurs amis: 
«Dans la dernière scène du pilote, celle où Jaime et Cersei, frère et soeur, couchent ensemble—[nos amis» n'avaient pas compris qu'ils étaient frère et soeur, et c'était complètement notre faute. (...) Je m'en souviendrai toute ma vie: il y avait trois copains à nous: Scott Frank, Ted Griffin, et Craig Mazin. Scott et Ted sont tous les deux très diplomates et très gentils. Et Craig non, et Dieu le bénisse d'ailleurs, parce qu'il a dit: "Les gars, vous avez un énorme problème." Et cette phrase m'est restée.
Il faut tout recommencer. Tout repenser. Avec une nouvelle histoire, de nouveaux acteurs… et un nouveau réalisateur. 
Officiellement, McCarthy explique n’avoir pas participé au nouveau tournage pour des raisons d’emploi du temps. Et il ne s’exprime plus sur le sujet. Tout au plus consent-il à en parler en 2011, dans un entretien à The AV Club:
«Je crois que quand on se lance dans la télé, il faut connaître et maîtriser de nombreux paramètres, analyse le réalisateur. Vous devez avoir votre équipe et le soutien de la chaine. Je pense que sur des séries comme The WireLes Soprano ouSix Feet Under, tout le monde avait une vision très claire de ce que seraient ces séries. Je crois qu'ils avaient une vision singulière de ce qu'ils voulaient faire. Pour moi, c'était dur de ne pas être aussi impliqué [sur un tel projet]. J'ai terminé mon travail et je suis parti».
McCarthy laisse alors la place au très expérimenté Tim Van Patten (Les Soprano,Boardwalk Empire). Plusieurs comédiens qu’il a choisis pour la distribution principale sont débarqués. Ce qui a notamment permis à Emilia Clarke de prendre le rôle de Daenerys Targaryen. En 2009, c’est Tamzin Merchant (Catherine Howard dans Les Tudor) qui incarnait ce personnage. Mais lors de la diffusion du premier épisode, McCarthy est crédité comme co-réalisateur: certaines des séquences qu’il a tournées ont été conservées
.Depuis cette expérience décevante, McCarthy, toujours en mouvement, a tourné trois films: Les Winners, The Cobbler (inédit en France) et Spotlight. Il assure avoir compris son «besoin de maîtriser» beaucoup de choses. Comme il assume son caractère perfectionniste. Dans Variety, Josh Singer (ex-scénariste de The West Wing) explique que le script de Spotlight «a été repris des dizaines de fois».
Plus important, le cinéaste assure qu’il n’est pas du tout fâché avec l’univers de la télévision. Il tient notamment en haute estime David Simon, le créateur de The Wire. Un homme qu’il désigne comme source d’inspiration pour Spotlight:
«[Participer à] The Wire et passer du temps avec [Simon] m'a appris beaucoup de choses sur l'industrie mais il est aussi… très inspirant»a confié le réalisateur au site Collider«Il m'a vraiment fait découvrir ce que c'était que le travail de reporter, l'intense curiosité qui anime ces hommes et ces femmes qui veulent découvrir la vérité  et sont portés par la passion et le zèle. Ca m'a frappé. [Avec Spotlight], je voulais parler de ces héros de la middle class qui veulent juste faire leur travail et se bougent les fesses pour ça».
Avant de tourner Spotlight, Simon l’avait d’ailleurs contacté pour travailler sur un projet ensemble. Cela ne s’est pas fait, à cause du film. Rien ne dit que ce n’est pas partie remise. 

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