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lundi 20 juin 2016

SECRET DE TOURNAGE : LE COMPLOT DIABOLIQUE DU Dr FU-MANCHU AVEC PETER SELLERS

Remis en selle en 1975 par LE RETOUR DE LA PANTHERE ROSE, après une longue traversée du désert,Peter Sellers enchaîne avec UN CADAVRE AU DESSERT de Robert Moore, dans lequel il incarne le détective chinois Sidney Wang (inspiré de Charlie Chan). Est-ce ce dernier rôle qui lui donne l'envie d'incarner le criminel Fu Manchu (après Boris Karloff et Christopher Lee) ? Toujours est-il qu'en 1976, la presse annonce qu'un film se prépare avec Sellers et Michael Caine dans le rôle de l'enquêteur de Scotland Yard Nayland Smith.
Deux ans plus tard, après avoir tourné deux autres aventures de l'inspecteur Clouseau, l'acteur britannique est plus que jamais partant pour incarner la création du romancier Sax Rohmer (qui date de 1912) mais décide de jouer lui-même les deux rôles principaux. Il est habitué à ce type de performance depuis LA SOURIS QUI RUGISSAIT et récidive d'ailleurs pendant l'été 1978 avec LE PRISONNIER DE ZENDA de Richard Quine. Durant le tournage à Vienne, l'ambiance est loin d'être au beau fixe. Sellers souffre encore des conséquences de son infarctus survenu en 1977, qui lui a valu la pose d'un pacemaker, et se montre particulièrement irascible. Son ami Graham Stark constate qu'il a pris en grippe le producteur Walter Mirisch, qui lui a pourtant donné sa chance avec LA PANTHERE ROSE en 1964. «Lorsque le réalisateur Dick Quine tentait de tourner une scène, deux instructions opposées lui étaient données. Mirisch voulait un gros plan, Peter suggérait alors un plan large.»
Le cinéaste ne s'oppose pas à Sellers et Mirisch croit en comprendre la raison. «J'ai appris que Peter parlait à Quine de réaliser son prochain film, LE COMPLOT DIABOLIQUE DU DR FU MANCHU. Je supposais que Dick se préparait un avenir comme réalisateur de films avec Peter Sellers et, par voie de conséquence, il ne se voyait pas croiser le fer avec lui pendant le tournage de ses scènes.» LE PRISONNIER DE ZENDA se termine avec beaucoup de retard, tandis que LA MALÉDICTION DE LA PANTHERE ROSE triomphe sur les écrans du monde entier. Fâché avec Blake EdwardsSellers voit certainement dans son projet Fu Manchu une occasion de rivaliser avec lui. Il part écrire le scénario sur un yacht en Méditerranée et s'inspire de plusieurs éléments de la série de l'inspecteur Clouseau : un diamant d'une grande valeur volé dans un musée (LE RETOUR DE LA PANTHERE ROSE), un château perdu dans les montagnes où le méchant joue de l'orgue (QUAND LA PANTHERE ROSE S'EMMELE)...
Mais surtout, Peter Sellers s'inspire de sa période du «Goon Show», ces émissions de radio qu'il écrivait et interprétait avec Spike Milligan et Harry Secombe dans les années 1950. L'une d'elles s'intitulait «The Terrible Revenge of Fred Fumanchu» et évoquait une loufoque histoire de saxophone en bambou. Le prénom du criminel chinois est cité dans une scène du film et le saxophone tient également une grande place dans l'histoire. Plusieurs noms et situations sont aussi repris des différents sketchs. Ce retour aux sources s'explique par la lucidité de Sellers qui sait sa fin proche et considère ses débuts à la radio comme une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il semble clair qu'il parle de lui dans ce scénario : Fu Manchu s'agite en tous sens pour rassembler, comme chaque année, les différents ingrédients d'un élixir de vie. Agé de 168 ans, il vit ses derniers jours...
Tel quel, le script enthousiasme la société Orion Films, prête à tout pour satisfaire Peter Sellers, qui est alors un des acteurs les plus populaires au monde. LE COMPLOT DIABOLIQUE DU DR FU MANCHU va se tourner à l'automne 1979 à Paris, aux studios de Boulogne. En attendant, Sellers traverse l'Atlantique pour interpréter un jardinier simple d'esprit qui croise la route du président des États-Unis dans BIENVENUE MR CHANCE de Hal Ashby. Il considère ce rôle, aux antipodes de ses habituelles prestations transformistes, comme celui de sa vie. Revenu en Angleterre en mai, il décide qu'il ne veut plus tourner le scénario de FU MANCHURichard Quine a déjà quitté le navire pour «différends artistiques» et John G. Avildsen (ROCKY) aurait dû le remplacer mais se retire à son tour. Orion demande alors son aide à Piers Haggard(LA NUIT DES MALEFICESTHE QUATERMASS CONCLUSION). «J'ai eu trois semaines pour superviser la réécriture. Nous avons rendu le scénario de Peter beaucoup plus cohérent, avec enfin un début, un milieu et une fin. Cela leur a tellement plu que j'ai eu le job.» Le 24 septembre, Haggard donne le coup d'envoi du film, qui est prévu sur treize semaines. «Pas une de plus !» affirme la productrice associée Yannoulla Wakefield au Film Français...
Peter Sellers a rassemblé autour de lui des partenaires familiers comme Steve Franken (le serveur ivre de LA PARTY), PER-John+Le Mesurier&Type=4" target="_top">John Le Mesurier (l'avocat de LA PANTHERE ROSE, entre autres) et David Tomlinson (UP THE CREEK). Helen Mirren, qui est alors surtout connue pour ses activités théâtrales, interprète le rôle d'une policière de Scotland Yard choisie par Nayland Smith pour sa ressemblance avec la Reine Marie. Cela ne manque pas d'intérêt quand on sait qu'elle interprétera par la suite Charlotte, Elizabeth 1ère et Elizabeth II. «Peter et moi nous sommes très bien entendus. Il était suffisamment gentil pour rire à mes plaisanteries, ce qui était un grand compliment venant de quelqu'un comme lui.»
Les relations de l'acteur avec Piers Haggard sont nettement moins cordiales. Il est évident que Sellers ne va pas bien, tant physiquement que mentalement. Il a annoncé son divorce d'avec Lynne Frederick dans la presse, sans en parler à l'intéressée, pour finalement la faire venir à Paris où elle se retrouve bombardée «productrice exécutive». Il est angoissé à l'idée de ne pas savoir comment il va interpréter Fu Manchu mais est incapable de s'en ouvrir à son réalisateur. LorsqueHaggard obtient enfin de lui parler dans sa loge, il tombe sur un homme «à la mine épouvantable et triste. Il était assis près de la fenêtre et la pièce était plongée dans l'obscurité. Il ressemblait à une statue, avec un air particulièrement sombre. C'est ce qu'il était vraiment.»
Anticipant sa mauvaise santé, la production a engagé une doublure. Une agence londonienne a déniché un certain John Taylor qui ressemble à l'acteur comme deux gouttes d'eau. Même Roman Polanski s'y laisse prendre. Venu rendre visite à son ami au studio de Boulogne, alors qu'il travaille au montage de TESS, il entraîne Taylor (maquillé en Fu Manchu) dans une valse improvisée, avant de se rendre compte de son erreur... Lorsque Sellers ne se présente pas sur le plateau (car il est resté dans sa maison suisse pour se reposer) ou qu'un plan ne nécessite pas de dialogues, Taylor est alors sollicité.
«Après environ deux semaines, raconte Haggard, mon histoire d'amour avec Peter Sellers s'est terminée mais j'ai continué, comme un bon petit soldat.» Le film est constamment réécrit. La lecture du scénario est sur ce point significative : toutes les trois pages apparaît la formule «scène révisée le 26 septembre... 21 novembre... 9 janvier... 16 janvier... 4 février..., etc.» Jim Moloneyet Rudy Dochtermann interviennent mais ils ne sont pas les seuls. Toute personne avec une idée est la bienvenue. Ainsi, le compositeur de la musique du film, Marc Wilkinson (qui joue brièvement le chef d'orchestre dans la scène de la première royale tournée au Théâtre de la Renaissance), propose à Sellers une chanson rock que Fu Manchu pourrait interpréter. «Rock A Fu» (!) emballe l'acteur qui réécrit la fin du film pour l'intégrer. Il la chante, habillé en Elvis asiatique...
Les rapports Haggard-Sellers se sont à ce point envenimés que le réalisateur est remercié, deux semaines avant la fin du tournage. La production met alors le film en attente. Sellers téléphone au scénariste John Antrobus, qu'il connaît depuis le «Goon Show» et JULES DE LONDRES en 1963, et lui demande de venir à Paris travailler sur le scénario. Arrivé un dimanche, il est censé écrire des scènes que l'on pourra tourner le mardi... Il travaille toute la nuit et participe à une réunion de production le lendemain matin.
«Tout le monde a aimé mes idées qui remettaient le script sur pied, se souvient Antrobus. Le tournage a recommencé le lendemain. Peter Sellers s'est emparé de la réalisation et comme personne ne pensait qu'il comploterait pour se virer lui-même, cela a permis de retrouver une certaine stabilité. Parce que j'avais arrangé l'intrigue, ils pouvaient continuer à filmer des scènes présentes dans le script, en modifiant et en enlevant quelques petits éléments, pendant que j'écrivais de nouvelles scènes.»
À l'origine, Fu Manchu n'apparaissait que bien plus tard dans l'histoire, après même Nayland Smith. Antrobusl'introduit dès le début et imagine un serviteur apportant l’élixir de jouvence à son maître ; sa manche prend feu à cause d'une des bougies du gâteau d'anniversaire et il utilise le précieux liquide pour l'éteindre... Fu Manchu doit alors se rendre en Angleterre et en Amérique pour récupérer les deux éléments pour refaire l'élixir : le diamant de George V et la momie de Lullmulltullmull. Le film repart sur de bonnes bases et Sellers a l'idée de confier le rôle du maladroit à Burt Kwouk, l'interprète de Cato dans les PANTHERE ROSE. Ce dernier demande à lire le scénario mais Sellers lui dit de ne pas s'en faire et le convainc de venir à Paris. «J'ai découvert ça en arrivant au studio et j'ai dit : «Mais pourquoi ne m'as-tu pas dit au téléphone que tu allais m'enflammer ? Tu devais bien le savoir.» Il m'a répondu : «Eh bien, tu ne serais pas venu !»» Sellers s'amuse à faire un clin d’œil à la série qui les réunit depuis plusieurs années déjà. En le voyant apparaître, Fu Manchu déclare : «Votre visage m'est familier» (une référence remplacée dans la version française par un curieux «Te revoilà, vieille panthère !»).
Le tournage se termine enfin et Peter Sellers supervise le montage. De nombreuses scènes finissent au panier. La première séquence d'ouverture se passait dans le noir complet et l'on entendait simplement le dialogue entre deux projectionnistes à propos du MASQUE D'OR avec Boris Karloff... À l'exposition russe du Honeyman Institute de Washington, deux gardes soviétiques se mettaient à chanter et à danser, pendant qu'avait lieu le vol. Le chef du FBI J. Edgar Hoover (peut-être interprété par Paul Sorvino, dont la participation au film avait été annoncée en 1978) était sermonné au téléphone par le président Roosevelt à propos du vol du diamant et ordonnait à ses hommes d'aller en Angleterre demander de l'aide à Nayland Smith. Staline sermonnait à son tour un des agents américains, considérant que l'enquête n'allait pas assez vite. Le sergent Alice Rage était introduite en pleine bagarre avant d'être envoyée à l'audition.
Et surtout, plusieurs courtes séquences sans rapport avec l'histoire interrompaient le film de manière loufoque, à la manière des Monty Pythons. Ainsi, cette scène de disco dans une boîte de nuit avec un danseur à la Travolta, sur laquelle une voix off expliquait qu'il s'agissait d'attirer un public jeune ; une autre avec Dracula se cassant une dent sur le cou d'une jeune fille et un commentaire du même genre sur la volonté de profiter de la vague actuelle des Dracula (dont le DRACULA de John Badham produit par Walter Mirisch, dans le collimateur de Sellers) ; une dispute entre routiers par Cibi interposée ; des images d'actualités sportives des années trente...
Après LE COMPLOT DIABOLIQUE DU DR FU MANCHU,Peter Sellers, bien qu'affaibli, a d'autres projets : «The Romance of the Pink Panther» sans Blake Edwards mais avec Clive Donner (QUOI DE NEUF PUSSYCAT?), et «Le Crocodile» que Gérard Oury avait d'abord écrit pour Louis de Funès. Mais le 24 juillet 1980, le cœur de l'acteur lâche. Le film sort en août et est un échec financier total.

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